lundi 28 juillet 2008

Dave Gahan - Contre La Montre (Tsugi octobre 2007)

http://mynewsclara.files.wordpress.com/2007/12/dave_gahan_003.jpg
Texte : Violaine Schütz

Dave Gahan
Contre la montre

28 mai 1996 : Dave Gahan est déclaré mort pendant deux minutes suite à une overdose d’héroïne et de cocaïne dans une chambre d’hôtel de Los Angeles. Après ça, les chansons du groupe d’électro-pop culte Depeche Mode dont il est le leader, ne seront plus jamais les mêmes…Dave non plus.

C’est un homme à l’élégance racée, tout de noir vêtu comme le Johnny Cash de la fin, qui prépare-lui-même- le café pour les journalistes dans la suite de son hôtel chic près du quartier de l’Opéra. Etrangement doux et posé, avec quelque chose de vaguement inquiet dans le regard bleuté, le chanteur de Depeche Mode, clean depuis onze ans, peut souffler : il vient d’accoucher d’un album solo d’une rare beauté, Hourglass.

Isolation

Sur le premier single qui en est extrait, « Kingdom », remixé notamment par Digitalism, Gahan se demande s’il y a un Dieu, un Royaume au-delà. Si Paper Monsters, son premier album solo sorti en 2003, mettait à vif les démons avec lesquels la rock star a eu à dealer coté vie privée, Hourglass (sablier), lui, pousse à croire en quelque chose, et arrête le temps. « Le temps joue contre moi, je me fais vieux, explique Dave. Mais j’ai tellement perdu d’heures à m’angoisser, à ne rien arriver à faire parce que je me dégoutais, que je ne voulais pas me laisser –encore- happer par le sablier. Je me suis trop longtemps battu contre la montre, à essayer d’en faire le plus possible sans trouver ma place. »
Longtemps confiné au rang de sex symbole et d’entertainer dans Depeche Mode, où Martin Gore composait tout, Dave a enfin signé ses deux premières chansons sur le dernier album de Depeche Mode, Playing The Angel en 2005. Cela aurait pu lui donner confiance, mais il n’en est rien. Pour Dave, la pop-musique est un combat continu. « La musique est une manière de travailler sur la vision négative que j’ai de moi, comme quand j’étais plus jeune, et que je peignais tout le temps, ce que j’ai arrêté de faire il y a 10 ans. J’avais besoin de sortir, de voir le monde. C’est facile pour moi d’être seul mais c’est très dangereux pour moi d’être enfermé dans une chambre. New York, où je vis aujourd’hui, est un bon endroit pour moi, et ça a influencé les nouvelles chansons. Le studio d’enregistrement se trouvait dans une petite rue très bruyante, très animée. Quand j’étais à Los Angeles, je pouvais prendre la voiture et conduire pendant des heures, sans voir personne, dans l’isolement totale. A New-York, il y a du monde partout, même la nuit ! Ca me force à réaliser qu’il y a plein de choses et pas que moi au monde (rires) ! J’aime aussi m’asseoir dans des coffee shops de NY, et regarder les gens, m’imaginer leurs vies. J’aime la vie, je suis juste effrayé par les gens. »

Middle class hero

Effrayé, Gahan, l’est depuis toujours. Né de parents chrétiens appartenant à la classe moyenne, David avait 6 ans quand son père a quitté la maison. Remariée, la mère de Dave donna à ses enfants l’impression que son second époux était leur vrai père. Mais en 1972, ce dernier meurt alors que Dave a 10 ans. Gahan ne s’en remet pas et devient un vrai bad boy, adepte du vol de bagnoles, de la tire à l’étalage et du graffiti sur immeubles, qui lui valurent de nombreux détours par la cour avant ses 14 ans. Il enchaîna ensuite les petits jobs (plus d’une vingtaine) comme celui de vendeur de boissons fraîches. Jusqu’à ce fameux jour de 1980, où il rencontra les autres membres de Depeche Mode, qui devint peu à peu le groupe majeur que l’on connaît aujourd’hui. « La vérité, c’est que ma vie est super, et que je n’ai pas à m’en plaindre, confie Dave, et que je suis reconnaissant pour toutes les opportunités, mais c’est dans ma nature, il y a toujours cette épine, cette insatisfaction. Je continue à envier ces gens qui semblent prendre les choses comme elles viennent, je n’ai pas dû avoir le bon livre petit, à l’école, celui qui apprend le contentement. (rires)».

Il n’y a pourtant de quoi être fier. Hourglass, sans réinventer la formule magique de Depeche Mode – ce clivage entre claviers industriels et sonorités électroniques contrebalancés par une voix de baryton, presque gospel, qui n’a jamais sonné aussi soulful et profonde que maintenant. A 45 ans, Dave Gahan n’est plus le garçon coiffeur d’un groupe à succès, mais semble avoir trouvé une toute autre voix. « C’est mon album le plus personnel dans le sens où j’ai essayé de savoir qui j’étais exactement, où j’en étais. Je ne pouvais pas y arriver si je restais en surface, j’avais besoin de fouiller à l’intérieur, pour renouer avec l’espoir à propos de ce que je deviens. Quand j’écoute de la musique, j’ai besoin de croire que la personne est en train de me parler, et si elle ne fait rien pour moi, même si la musique est sublime, je ne peux pas l’écouter. Pour moi, la musique aide à identifier des choses, à y voir son propre cynisme, comme dans un miroir. J’ai regardé dans le miroir pendant très longtemps, sans jamais rien y voir d’autre que du vide. C’était terrifiant ! La musique que j’aime c’est celle qui donne le sentiment de ne pas être seul, comme l’ont fait Johnny Cash, Billie Holiday, Ian Curtis, Nick Cave. » Il faudra désormais ajouter Dave Gahan à la liste des compagnons de route à valeur salutaire.

Hourglass (Mute/Virgin)

vendredi 25 juillet 2008

Interview clubbing de Jared Leto - juin 2007

 


Texte : Violaine Schütz 

Jared Leto Hollywood Story 

 Qui dit mieux ? Cameron Diaz, Scarlett Johansson et Lindsay Lohan dans son lit. Requiem for a Dream, Fight Club et American Psycho sur le CV ciné. Et un petit groupe emo-hardcore-teenage pour occuper les 10 minutes de temps libre restant au bel acteur hollywoodien Jared Leto. Sans compter que cet ex étudiant en peinture est totalement perché. Juste avant notre entrevue, ses attachés de presse s’arrachent les cheveux. On prévient que le manager présent pendant les interviews coupe les questions stupides. Ca s’annonce mal ! Dragueur, capricieux et mégalo, on est pourtant près à tout lui pardonner à Jared. Parce que l’enfant roi (de 36 ans) d’Hollywood, que toutes les minettes du monde aiment d’amour depuis son rôle dans la série culte Angela 15 ans, sort en club, aime Squarepusher et connaît Plastikman. Si ça, ça valait pas une entorse à ce numéro 100% british, on n’y connaît rien ! Premier souvenir clubbing? J’étais très jeune, j’avais 14 ans. C’était un club new-wave punk culte de Washington appelé le « Poseurs ». Il y avait plein de mods, goths et de pd’s : une faune fascinante ! C’était très excitant comme expérience, le club à cet âge là, tu vas au bout de ton individualité en dansant et en allant jusqu’au bout des choses. Le pire souvenir ? Tomo, guitariste du groupe de Jared, 30 Seconds To Mars : On ne pense pas aux choses négatives. Jared (ne répondant pas à ma question et regardant son camarade amoureusement.) Tu es très belle et très gentille, Tomo (en français). Ma chérie, je t’aime. Que puis je faire d’autre que t’aimer. (Il chante) « Je t’aime chéri, je t’aime... » Tu veux savoir la première fois qu’on s’est rencontrés ? J’étais sur la plage, en train de bronzer et de m’étirer comme mon thérapeute me l’a indiqué pour garder mon corps souple. Et là, alors que je me tenais dans la position du chien du yoga, j’ai vu un jeune Dieu grec arriver par-dessus mon épaule avec ce visage frais pas encore exposé aux turpitudes du monde. Je l’ai mis dans ma valise comme un chien. Et on a péché sous les étoiles. C’était une expérience très romantique. Premiers disques achetés ? The Cure. Robert Smith est un génie, il avait les les mots justes. C’est un poète. J’écoutais beaucoup de new-wave jeune comme A flock of seagulls, Japan, the Cars ou Joy Division que j’ai découvert plus tard. Je suis très nostalgique de tout ça. Tu aimes la musique électronique? (Jared me prend la main et me dit très sérieusement) Tu devrais faire attention, je trouve que tu bois trop vite tes bulles de Coca. Ca pourrait te tuer. J’aime Squarepusher, Aphex Twin, Royksopp et The Knife, Air, et la house music oldschool. Personne ne le sait, mais j’étais un kid habitué des clubs house new-yorkais. L’an dernier, l’album solo de Thom Yorke m’a vraiment plu, et Juan Atkins et Plastikman me rendent fou ! Sinon Air et Jean-Michel Jarre me font rire. On a aussi repris « Hunter » de Björk. Vous êtes sortis à Paris ? Oui, au Paris Paris et au Baron. On s’est bien éclaté. Ah bon, ce n’est pas ce que m’a dit votre attaché de presse. (Jared sort de la pièce sans crier gare et hurle à l’attachée de presse.) Bénédicte, pourquoi tu as dit à la presse qu’on ne s’était pas amusés au Paris Paris ? Bénedicte, terrifiée : Pardon. J : On étaient malades c’est pour ça qu’on n’est pas restés longtemps. On retourne au Baron demain pour se rattraper ! Et ne me cause pas de problème ! Tu ferais mieux d’être plus gentille avec moi. La meilleure fête de votre vie ? Tomo : Je suis de Detroit, et là-bas il y a un énorme festival électronique qui s’appelle The Detroit electronic music festival. La première année où il a eu lieu, tous les gros Dj’s de Detroit se sont réunis comme Carl Craig. Je me suis vraiment mis une race de malade, j’ai souri toute la soirée et j’ai vraiment mal fini. J : Ca devait être monstrueux, j’ai pas mieux ! (Il s'adresse à moi : J’aime tes cheveux. J’adore ta frange. Elle me rappelle ma mère...) Ton truc contre la gueule de bois ? Yoga, méditation. Je suis straight-edge Madame. (On veut bien connaître la marque des germes de blé, ndr.) Il prend un regard de junkie fixe (Pour préparer le tournage de requiem for a dream , l'acteur s'est délesté au passage de douze kilos, s'évanouissait de faim, a fait un séjour dans la rue auprès de toxicomanes, et a failli devenir fou (il a notamment arrêté le sexe pendant deux mois). 30 Seconds to Mars - Beautiful Lie (Virgin/EMI)

Citizen, Vitalic et les Penelopes - Article publié dans Trax en novembre 2006

Citizen
Citoyens modèles

Habituellement, quand on part en voyage de presse, c’est pour New-York ou Londres. Pourtant, c’est bien à Dijon autour d’une dégustation (arrosée) de frites maison à la graisse d’oie, que notre dernière mission nous porte. Le but, rencontrer le petit label français qui -depuis 5 ans- n’en finit de monter, Citizen Records. Des citoyens français bientôt rois du monde !

« Avec Daft Punk, l’électro représentait une petite rivière en France. Aujourd’hui, on travaille dans une flaque » constate Fred Gien, ancien programmateur de l’Anfer à Dijon et co-patron de la petite structure Citizen fondée en 2001 par un autre Dijonnais, Pascal Arbez, alias Vitalic. Mais il ne faut voir dans cette réflexion aucun pessimisme. Les deux comparses partagent un enthousiasme communicatif ainsi qu’une passion pour « un son crade, sale, en dehors des sentiers battus. On voit Citizen comme un laboratoire d’expériences un peu malsaines, à l’encontre des prods léchées. Et en même temps, on aime quand ça tape, alors on met toujours du disco dans notre musique.» A son actif, le label peut se targuer d’avoir révélé John Lord Fonda, que Fred décrit comme l’équivalent musical du Canada Dry. « On dirait de l’alcool mais ça n’en est pas. John Lord, c’est pareil. Ca ressemble à de la techno, mais ce n’est pas de la techno ». En attendant de sortir un mix de Vitalic, qui devrait refléter l’ouverture d’esprit du label, This is the sound of citizen, Fred et Pascal nous reçoivent dans leur antre, le garage en sous-sol de la villa de Fred, où se retrouvent un stagiaire, un booker et un « porteur de flycases ». Plus lycéen, tu meurs !

Véronique Jeannot version électro
Avec la même ardeur avec laquelle il nous conseillait des vins blancs au restaurant, Fred nous fait écouter les signatures à venir : les français Teenage Bad Girl et The Micronauts. « Ecoute ça, Teenage Bad Girl, c’est Justice en plus disco. Et puis, attends, ça c’est leur reprise du « Aviateur » de Véronique Jeannot qui sonne comme du M83. Cette chanson a été écrite par Souchon et Voulzy !» Pas le temps de crier au génie qu’il fait déjà tourné son morceau du moment, signé les Micronauts. Vitalic avoue : « A chaque fois que je pars en tournée, Fred me fait des compils que j’écoute en route. Ca fait 6 mois que ce titre se trouve sur la compil des copains. » Pascal tape du pied en disant cela, pendant que Fred explique : « Je procède toujours comme ça, par des bombardements d’amour. » Loin des poses parfois blasées des petits labels parisiens, l’enthousiasme de la bande de Dijon, fait plaisir. Ici, on aime viscéralement la musique, comme le confirment ces deux pères de famille : « une fois qu’on a inoculé le virus, on doit vivre avec, et accepter de mal s’occuper de ses enfants ou de laisser le travail déborder sur la vie privée » s’amuse à moitié Pascal.

25 minutes de cithare à la plage
Il y a parfois, certes, des moments de découragement. « Le plus énervant, c’est quand tu sais que tu tiens un tube mais parce que tu ne fréquentes pas les bonnes personnes dans la capitale, ça ne marche pas. On a très mal vécu de ne vendre que 1500 disques de Juan Trip » explique Fred. Mais les coups de blues sont le prix à payer d’un positionnement en dehors du son dominant, la « minimale ». « On s’est toujours dit, depuis que j’ai commencé et que c’étaient toujours les mêmes qui jouaient : Oxia, The Hacker, moi... qu’on ne voulait pas écouter toujours la même chose. On veut du sang neuf, frais, même si il est crée par un quelqu’un d’ingérable (rires). Comme Juan Trip qui, une fois lors d’un festival tek sur une plage, a joué des morceaux à la cithare de 25 minutes avec une fille chantant « je veux te toucher ». Les clubbers voulaient le tuer ! », se souvient Pascal. Citizen a donc réuni en son sein, « une bonne famille de freaks », qu’il soutient coute que coute. Pascal regrette en effet que lorsqu’il était chez Gigolo, « il n’y avait pas de suivi, pas de coup de fil, et des décisions prises sans mon aval ; C’est l’inverse avec Citizen. On a un côté « crew », famille comme dans le hip-hop où on se déplace toujours entre potes. En fin de journée, on rentre à la maison, mais il n’est pas rare que tout le monde retourne au bureau vers 23h00. Alors, on s’ouvre des bouteilles de pinard, on met de la musique et on danse. Demain, on ira tous ensemble à la foire gastronomique de Dijon.»

Fidèles Penelopes
Les petits derniers arrivés dans la famille, sont les deux Parisiens de Penelopes, qui viennent de sortir un premier album électro-dark-pop sous haut patronage (ils sont copains comme cochons avec Agnès B et figuraient sur une compilation Gigolo). Le duo se félicite du bon esprit de sa nouvelle auberge. « Je ne vois pas trop quel autre label « techno » accepterait de sortir un single Cocteau Twinien et un album aussi « dance » qu’indie pop. Citizen eux comprenaient nos idées de composition, notre approche mélodique. Ils sont assez courageux à l’image de Vitalic qui fait ce qu’il veut. Comme The Hacker aussi, ils n’en ont rien à secouer de la dictature du DJ qui veut une intro dans les morceaux, par exemple. Nous, on a fait l’inverse de ce que les gens nous conseillaient : ne venir sur scène qu’avec un laptop. On mouille le maillot, et ça leur a plu. Citizen possèdent un feeling assez « rock’n’roll » dans l’esprit qui s’est un peu perdu.» Mais avec les 15000 cd’s vendus par le label dijonnais cette année, gageons que ce « feeling » devrait bientôt se répandre et les Citizen gouverner le monde…Si la moutarde ne leur monte pas au nez !

The Penelopes – The Arrogance Of Simplicity (Citizen/Nocture)
Vitalic – This is the sound of Citizen (Citizen/Nocturne)
www.citizen-records.com

les Shades - Papier paru dans Wad en novembre 2007

http://www.waxx-music.com/photos/editorial/news/web/The-Shades.jpg
Les Shades
Orange Mécanique

Les petits protégés de Bertrand Burgalat (le boss du label Tricatel) sortent un premier EP parfait, entre violence rock et poésie pop. Et si ces élégants minets du quartier popu de Nation coiffaient tout le monde au poteau ?

L’histoire est vieille comme le rock. En 2004, les Shades, cinq mignons garçons de l'Est parisien, s’ennuient au lycée et sur la foi de quelques références communes (Strokes, Beach Boys, Velvet Underground), forment un groupe. L’idée : un clavier psyché, une batterie carrée et des textes bruts chantés en français. « Quand on est jeune on ne se rend pas compte qu’il faut un immense talent et de l'expérience pour composer des chansons aussi simples que « I'm waiting for the man » du Velvet, alors on se met à singer ces trucs. Aujourd'hui les influences s'étendent à l’électronique pour les sons, au hip-hop pour les paroles, et à tous les groupes de rock qui ont des bonnes idées comme Arcade Fire, Electrelane. » Des bonnes idées, les Shades, 18 ans de moyenne d’âge, n’en manquent pas. Sur leur quatre-titres, qui vient de sortir chez Tricatel, le label qui abrite April March et Valérie Lemercier, il y a notamment l’impeccable « Orage Mécanique », son orgue fou et ses chœurs cristallins. « En théorie, je suis quelqu’un de très calme, en pratique je suis incontrôlable » y chante Benjamin, déchaîné, qui commente « La chanson est liée au film Orange Mécanique si on le voit comme une critique de la violence ». Mais sur scène, les Shades assurent pourtant le show en faisant preuve d’une rage rarement égalée tout en ne se parant que de blanc. Virginal ? « On cherchait un concept visuel qui marque les gens. Le blanc c'est l'idée de créativité sur laquelle on base tout ce qu'on fait. C'est la feuille blanche sur laquelle tout est possible d'écrire » explique Benjamin. Et chez les Shades, tout semble en effet permis. Y compris l’originalité. Car là où d’autres babyrockers se contentent de recycler les antiquités rock garage, le quintette étend le spectre et surprend. A 17 ans, ces gamins ont été biberonnés à John Coltrane et Dr Dre, ont lu Baudelaire, compris IAM et adoré Lost In Translation, s’inscrivant ainsi dans une génération décomplexée à laquelle, sans aucun doute possible, l’avenir appartient.

« Les Shades, EP » (Tricatel)
www.myspace.com/lesshades

Poni Hoax - article paru en avril 2006 dans Trax (c'était leur toute première interview)

http://static.flickr.com/68/176248718_161fd0118d.jpg
Texte : Violaine Schütz

Poni Hoax
Philo, sexe & rock’n’roll

Nicolas Ker, le chanteur-dandy de Poni Hoax parle comme le lapin d’Alice au Pays des Merveilles, et aime Patrick Juvet. Laurent Bardainne, le compositeur du groupe, adore, quant à lui, Robert Palmer. Faut-il pardonner leur mauvais goût ? Oui, parce que le premier album éponyme du quintet français, déjà plébiscité par Optimo et Morpheus en mix, est ce qui se fait de mieux aujourd’hui en électro pop post-punk hantée et lumineuse.

Il faut imaginer le tordant de la scène. Un dimanche ensoleillé, 19h30, dans un des derniers bistrots de Montmartre ayant résisté à l’invasion d’Amélie Poulain, pendant que des petits vieux jouent au billard, Nicolas, chanteur de Poni Hoax, trois bières dans le gosier, se lève au son des premiers accords d’«I Love America», met ses boots sur la table, enfourche des lunettes noires tout droit sorties de Délivrance, le film, et se met à hurler du Patrick Juvet. Ca, c’est juste avant de nous avoir livré sa théorie liant l'inertie du chaos à l'alcoolisme et d'embrayer sur Wittgenstein, comme symbole de l’échec.
Ce n’est pas tous les jours qu’une interview vire en débandade philosophico-potache, et il est bon de le noter. Car, ici, la pose n’est pas empruntée, elle n’est que l’expression d’une musique surprenante, décrite (un peu vite) par Feist dans le New York Times comme du «dark disco». Encore faut-il ajouter que ce punk bacchanal qui doit autant à Joy Division que Jacno, n’est jamais facile, ni trop référencé, mais d’une ambition musicale folle.
« Les musiciens d’aujourd’hui, explique Laurent, manquent d’ambition. Quand tu lis une interview de Franz Ferdinand, qu’on adore au demeurant, ils disent qu’ils savent que ça ne va pas durer, qu’il faut faire des singles. Je trouve cette lucidité, cette volonté de coller aux besoins du marché, flippante. » Nicolas poursuit : « Dans les 60’s, il n’y avait que des bons disques qui sortaient en même temps (les Doors, le Velvet, les Beatles) et c’était normal. Depuis deux décennies, dès qu’il y a un disque un minimum ambitieux comme Ok Computer ou Mezzanine, tout le monde crie au miracle. Pour moi, une des raisons de cette décadence, c’est que depuis les 80’s, et l’avènement du SIDA, il y a eu une désexualisation de la musique. Nous, on veut resexualiser le rock (d’où la fille nue sur la pochette de leur disque, ndr). Marre de ces mecs pas sex comme Interpol et de ces crevettes asexuées de chez Hedi Slimane ! »
Des propos ambitieux, mais Poni Hoax ont les moyens d’être exigeants. Des paroles philosophico-sexuelles originales d’abord, puis des mélodies hallucinantes empruntant à tous les genres. « On veut faire des disques intemporels. Nous venons du free jazz, du surf, et apprécions des choses aussi diverses que la no-wave, le classique, les Violent Femmes, les Stooges, Robert Palmer. « Johnny and Mary », quelle chanson ! »
Toujours à la lisière du mauvais goût, Poni Hoax font de la musique de backroom, mais rêvent de villa lumineuse et de clips avec Mariah Carey, dans lesquels ils laveraient (torse-nus) sa bagnole. «Mariah est géniale. Mais ma référence ultime c’est Céline Dion. Une femme qui s’habille en pharaon lors de son mariage avec René à Las Vegas, et décore sa maison de manière kitsch, moi, ça m’influence. Tout comme Paris Hilton. Elle me fascine. C’est la représentation parfaite de l’Occident. D’un côté, tu as Ben Laden, de l’autre Paris. Je suis en train d’écrire un livre portant son nom, qui traite de Dieu.» On sourit aux propos alcoolisés de Nicolas, en pensant que c’est rare que la musique soit aussi bonne que la descente, et que, pourtant, c’est le cas !



Poni Hoax (Tigersushi)
www.ponihoax.com

Interview de Gülcher - mai 2006

Gülcher

Certes, les quatre membres de Gülcher ne payent pas de mine. Pas de coupe de cheveux étudiée à la Strokes, pas de jean slim qui moule les burnes, pas de boots pointues trainées dans la coke, juste quatre gars (trente de moyenne d’âge), un Anglais et trois Parisiens, avec qui vous auriez pu prendre, sans vous en rendre compte, un demi dans un pub. Sauf, qu’une fois sur scène, l’évidence s’impose : souplesse mélodique, raffinement des chœurs, énergie punk, chant en anglais tête à claques et maniéré façon Morrissey, le quatuor semble avoir fait ses classes chez les grands : Roxy Music, Orange Juice, Gang Of Four, Wire. Mieux : leurs hymnes de pop complexe, lettrée et dansante les placent en meilleurs concurrents français des excellents étalons p-funk de Warp, Maxïmo Park. Paris tiendrait-il enfin son premier groupe d’art rock ?

R : Quel a été pour chacun de vous le parcours qui vous a amené du statut d’auditeur à celui de musicien ?

Alex (batteur) : Les Pixies ont été le déclic. Doolittle plus exactement.
Laurence (chanteur) : On peut arrêter l’enregistrement de l’interview ? (rires)
Alex (bassiste) : J’ai grandi en écoutant beaucoup de rock indé américain comme Sonic Youth et Pavement. J’ai appris à jouer de la guitare en autodidacte. Je ne suis pas un vrai bassiste, c’est pour ça que j’ai un jeu de basse étrange.
Sandri (guitariste) : pour moi, ça a été, comme pour beaucoup les Beatles, et plus particulièrement la chanson « I’m only sleeping » qui m’ont fait découvrir la musique. Ensuite il y a eu les chansons des Sex Pistols et des groupes plus pointus comme Pere Ubu. Aujourd’hui, j’aime le rock bizarre. En ce qui concerne ma formation, j’ai fait une école de musique à l’âge de 12 ans. Au départ, je voulais jouer de la contrebasse, et finalement il n’y en avait pas dans cette école, alors je me suis rabattu sur la guitare classique. J’ai joué dans plusieurs groupes, dont le duo Deluxe & Faem. On a sorti un album en hommage à Delon-Melville en 2004 sur le label Euro-visions (qui réunissait les très branchés April March, Ariel Wizman et St Etienne, ndr). On a aussi bossé avec Rubin Steiner.
Ronan (batteur) : Moi, j’ai commencé le piano à 7 ans, mais ça n’a pas donné grand-chose. La musique est venue avec Joy Division. Je me suis dit : Si eux peuvent jouer de la guitare, je peux y arriver ici, moi aussi ! La batterie est venue plus tard, un peu par hasard.
Laurence : en Angleterre, je faisais partie des seuls gamins qui écoutaient de l’indie pop à mon école. On filait en douce pour aller voir des concerts de Felt (le dernier à Londres) et de Spacemen 3. C’était juste avant que les jeunes s’intéressent à l’indie pop avec les Stones Roses à la fin des années 80, et au début des 90’s. Mais c’est surtout grâce à la presse musicale anglaise - aussi bien Smash Hits et Number One que le Melody maker et le NME - et au Lipstick Traces de Greil Marcus et à Lester Bangs que j’ai fait mon apprentissage. J’étais obsédé par l’idée de la chanson pop et je lisais tout ce que je pouvais sur le sujet.

R : Comment vous êtes-vous rencontrés ?
L : J’avais écrit des paroles pour un morceau de Deluxe & Faem avec Sandri, qui se situait entre Patrick Juvet et les Sparks. La chanson, « L’unabomber de l’amour » a été refusée, mais on a continué à faire des morceaux, avec plus de Sparks et moins de Patrick Juvet. Et Sandri connaissait déjà les deux autres.
S : On s’est formé en 2003, mais avec un autre batteur. On a changé la batterie quand Ronan, un ami, est revenu d’Angleterre.
R : Je connaissais Sandri depuis 1995, il était même témoin à mon mariage.

R : D’où vient votre drôle de nom ? C’est un mot qui n’existe pas…
L : Quand on a commencé, il y avait tous les groupes de l’après-Strokes, avec des noms en « The ». On voulait éviter de rejoindre le clan. « Gülcher » est en fait un jeu sur le mot « culture », mal prononcé. Après avoir lu Lester Bangs, je me suis intéressé à ses amis rock-critics, et parmi eux, il y avait Richard Meltzer (un des premiers grands journalistes de rock, ndr), qui a écrit l’ouvrage culte The Aesthetics of rock et un autre Gülcher.
Le seul rapport entre notre musique et ce bouquin, c’est que le livre raconte des petites histoires, en prenant pour point de départ des choses assez banales, comme les coupes de cheveux des chanteurs de country ou les packaging des chewing-gum pour les transformer en art. On essaie de faire pareil.
S : Ca peut sembler prétentieux de s’appeler « culture », mais pour se rattraper, on va faire une très belle chanson sur un paquet de chewing-gum.

R : Comment travaillez-vous ensemble ?
S : J’amène une partie de guitare et on construit le morceau à partir de là. Après chacun dit qu’il faut déplacer telle ou telle partie pour la placer après une autre. Parfois certains morceaux prennent très longtemps à écrire. « Providence » par exemple a pris été très longue à mettre en place, parce qu’on la beaucoup remaniée. Nos chansons évoluent sans cesse.
L : Ce qui est horrible c’est de s’ennuyer, notamment sur scène, donc on essaye d’enrichir le plus possible nos morceaux. On se lasse plus vite du binaire et du primaire. Mais pour notre manière de bosser, le processus est très égalitaire : chacun à sn mot à dire.
A : On ne touche pas trop aux paroles quand même ! (rires)
L : Si, si, il y a eu des fois où Sandri a dit non à certaines paroles comme « c’est la loose à Strasbourg ». Il a crié : « non, pas de paroles en français ».
S : C’est vrai ! Et je ne voulais pas non plus de ta chanson sur la scarification…

R : Quels sont vos partis pris musicaux : faire de la pop complexe, du rock réfléchi mais dansant ?
S : Faire ressortir des sentiments qui sont un peu enfouis dans la pop, qui ne semblent pas évidents au départ mais peuvent se révéler populaires au final. Le morceau « The Writers » par exemple dure six minutes, dont certaines sont vraiment tarabiscotées, mais elle est finalement accessible. Enfin, j’espère qu’elle l’est !

R : Avez-vous des influences communes ?
L : Roxy Music, qui sont dans le schéma de chansons qu’on aimerait faire, et tous les groupes dans leur lignée comme les Smiths et les Stranglers.

R : Laurence, peux-tu me parler de tes textes ?
L : Ils ne sont pas forcément autobiographiques. Il y a des jeux avec la narration, des dialogues. L’idée c’est que l’auditeur ne comprenne pas tout à la première écoute, mais seulement des bribes. On essaie de faire des chansons à clé pour que les gens (et nous) ne s’en lassent pas trop vite. J’aimerais m’éloigner de plus en plus des paroles sur moi en train de pleurer quelqu’un, mais c’est difficile d’écrire des petites histoires ne me concernant pas, tout en leur donnant une richesse émotionnelle. Bref, j’y travaille.

R : Qu’est ce qui vous agace dans les critiques parues dans la presse ?
L : Les comparaisons avec Bloc Party ou les Rakes. On n’a jamais entendu un seul morceau de Bloc Party, alors c’est drôle.
S : On nous compare aussi souvent à Gang of four. Je viens de comprendre il y a quelques jours pourquoi : Il parait qu’ils étaient calmes sur disque, et qu’ils se déchainaient sur scène.
A : Quel est le rapport avec nous ?
S : Ben, l’énergie rock’n’roll destroy sur scène.
A : Non, c’est surtout la basse en fait, qui justifie la comparaison à Gang of Four ! (rires)

R : Sur la pochette de « You girls », on a affaire à un design abstrait à l’esthétique constructiviste et sur celle de « Providence », à une femme allongée sur un lit dans une chambre d’hôtel, vous ne vous montrez jamais ?
L : A la base on avait une autre pochette qu’on avait commandée, et qui ressemblait à un vagin, c’était nul. Alors on a été dépanné par un pote.
S : Le type qui avait réalisé la première pochette a récemment avoué que c’était un cerveau qu’il avait voulu représenter. Rien avoir avec un vagin donc !

R : Ces pochettes témoignent-elles d’une volonté de se mettre en retrait pour signaler que seule la musique compte ?
R : Disons qu’à nous quatre, nous n’avons vraiment d’image. (rires)
L : Blague à part, oui, c’est exactement ça !

R : En même temps, vous essayez de renvoyer une image assez classe (costards, les chemises…), pourquoi ?
S : Parce qu’être sur scène, c’est comme au théâtre. On joue des personnages, le costume donne un côté dandy.
L : Le costume Guerrisol c’est aussi quelque chose d’égalitaire. Enfin, c’est toujours moins cher que de s’habiller chez Hedi Slimane.

R : Vous avez joué dans les mêmes salles (Triptyque, Bar Three à Paris) que les Second Sex, Naast, Brats dont on parle beaucoup en ce moment. Que pensez-vous de la scène rock parisienne des petits jeunes de 15 ans ?
S : Je pense qu’un gamin n’a rien à dire. Un groupe de vieux comme les Stranglers avaient des choses à raconter, du vécu. Ce jeunisme est agaçant. Il ne faut pas trop gâter les groupes, ne pas tout leur donner tout de suite. Il faut une certaine dose de souffrance ou du moins d’attente, pour faire de bons morceaux.
L : Mais ce n’est pas parce qu’ils sont jeunes qu’ils n’ont rien à dire, c’est parce qu’ils sont français ! (rires) Le problème, c’est surtout, que tous ces groupes sont dans la même imagerie, dans les mêmes références rock’n’roll. Ils sont dans un système qui consiste à se jauger et à se faire accepter selon les noms que les autres citent. Ils aiment le punk, mais ils n’utilisent pas ce mouvement comme clé d’accès pour exister de manière plus intelligente. Les gamins disent qu’ils lisent Lester Bangs sur leurs blogs et écoutent ceci et cela parce qu’il faut l’écouter, ils s’habillent en fonction de ce que tel ou tel groupe portait en 1976, mais ils oublient de parler des chansons. Je n’ai jamais entendu un groupe venu me dire : on a telle chanson, elle déchire ! Alors que nous, notre démarche est de penser aux chansons avant tout. Ca revient à ce que tu disais sur les pochettes. On ne veut pas dire : le rock est ceci, ou cela. On essaie juste de faire de l’art. Je vais avoir l’air snob là, mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit. On ne dit pas : « aimez-nous, parce qu’on aime ça » !
A : On essaie surtout de ne rentrer dans aucune case. Or, de nos jours, c'est assez flagrant que beaucoup de groupes jouent la revendication à des tribus: mods, punk, rock'n'roll, post-punk, new-wave, indie... Nous, on s'en branle de tout ça, du moment que ça sonne. La chanson, rien que la chanson et ceux qui ont peur dès qu'on sort des limites d'un genre musical, ne vont pas être déçus !

R : Et le courant art-rock qui vient d’Angleterre avec ces groupes qui sortent des beaux-arts comme Maxïmo Park, ce n’est pas une « étiquette » qui vous conviendrait ?
L : Hélas en France, il n’y a jamais eu ce mouvement art-school.
R : En même temps, on n’a jamais fait d’école d’art. On est prof de lettres, journaliste, pharmacien, à côté de la musique. Personne n’a fait d’études d’art.
L : La situation en France pour la musique est assez difficile. Un groupe comme les Smiths n’aurait jamais existé en tant que groupe de pop en France s’il n’y avait pas eu les Inrockuptibles. Si les Smiths avaient été français, ils auraient été (mal) conseillés et se seraient mis à faire du ska festif ou du reggae.

R : Vous avez été remixés par Krikor (DJ parisien connu pour ses remixes de Gainsbourg sur la compilation électro I Love Serge, ndr), êtes-vous intéressés par les musiques électroniques ou d’autres remixes ?
S : Oui, et puis Krikor habite dans ma rue. Non, en fait, dans Gülcher, il y a une influence cachée du krautrock, de Kraftwerk, de Can. On est donc assez ouvert pour être remixé et trituré dans tous les sens.

R : Quel a été votre meilleur souvenir de concert ?
A : Récemment à l’Ultrason de Cherbourg, le public pogotait et dansait vraiment. Il y avait un dialogue entre ces jeunes et nous. C’était génial !
L : Après notre concert au 9 Billards, ou on n’on n’avait pas la basse, donc notre set était assez punk, et l’écrivain Chloé Delaume (cf Redux numéro…) est venue nous voir après pour nous dire que ça lui avait fait penser à un concert des Happy Mondays au Bataclan début 90. J’étais fou de joie ! (Chloé Delaume mentionne d’ailleurs ce concert de Gülcher dans son roman, Certainement pas, Editions Verticales, 2004, ndr)
S : Pour moi, c’était un concert assez désastreux au Glazart devant 300 personnes dépitées, où on avait beaucoup trop bu. Et un homme d’une cinquantaine d’années est venu nous voir après le set en nous disant : « n’arrêtez pas la musique car vous êtes vraiment géniaux en live ! »
L : On avait des bouteilles sur scène qu’on refilait au public. Musicalement, c’était un vrai désastre ! Après ce concert on a d’ailleurs décidé d’arrêter de boire. Avant et pendant les concerts (on continue à boire après). Depuis, on s’est nettement amélioré !

Ep dans les bacs : “You girls” (Future Now/Coming Soon)
Album à venir : After Nature (Future Now/Coming Soon)

www.gulcher75.com

Elysian Fields - article publié dans Redux en septembre 2005

http://www.3ctour.com/assets/images/artistes/elysianfields.jpg
Elysian Fields

Le quatrième album des américains Elysian Fields est sans doute leur plus beau disque à ce jour. D’un expressionnisme noir, il semble en même temps traversé par une douceur lumineuse, apaisée, reflétant une belle alchimie entre ses deux créateurs, Oren Bloedow et Jennifer Charles, en apparence sur la même longueur d’onde sensuelle. Pourtant, ils viennent de rompre (après dix de relation fusionnelle). Et en interview, la tension est palpable. Dans un hôtel moyenâgeux de Bastille, le couple donnait toutes ses interviews séparément, sauf la notre, qui était la dernière entrevue de la journée. Sans jamais faire preuve de légèreté ni d’humour, le couple répondra à nous questions avec une rigueur pesante, qui se révèlera, sur le long cours, passionnante et attachante. Comme leur musique…Difficile d’accès au premier abord, et au final…indispensable.

Sur la couverture du nouvel album d’Elysian Fields, un vieil homme seul, accoudé à une table, un verre d’alcool à ses côtés comme seule compagnie, fume le cigare. Il semble avoir connu de jours meilleurs et sa fin semble proche. Cette image, qui pourrait être anodine, donne, à elle seule, une idée de l’univers d’Oren et Jennifer. Bum Raps & love taps est un disque mélancolique, qui parle de la vie en général, de désir, d’amour, de passion et de rêves, mais surtout de mort et de solitude. Oren, sombre et impénétrable, avec son chapeau vissé sur la tête et son regard perçant, consent à se nous donner quelques explications à propos de cette mystérieuse et noire, pochette : « En fait, ce vieil homme pourrait être la grand-mère de Jennifer, Deedee. Quand celle-ci de Jennifer est morte, on a écrit la chanson-titre de l’album, Bums, raps and love tapes pour elle. Mais personne autour de nous ne savait ce que ces mots signifiaient. Bums raps c’est « la mauvaise réputation ». Et love taps veut dire « une baffe ». Ce titre fait référence à la vie assez agitée de la grand-mère de Jennifer, qui a eu quatre maris et beaucoup d’histoires en tout genre. Elle voulait écrire sa biographie et lui donner ce titre, mais l’état de son cerveau était si mauvais, qu’elle n’en fut pas capable. Deedee avait 80 ans quand elle est morte, isolée, seule, nous avons écrit cette chanson pour rétablir une partie de sa mémoire. Elle avait la maladie d’Alzheimer, et ne se souvenait que d’un seul vieux standard des années 20, dont nous avons inclus quelques éléments mélodiques dans notre album. C’était notre manière de dire : « Nous comprenons ce que c’est d’être vieux, Ce que sait que d’être isolé, aliéné, inutile, décalé, oublié… », de montrer l’empathie que nous ressentions pour elle. Le vieil homme sur la pochette pourrait être la grand-mère de Jennifer mais aussi chacun de nous. Car nous nous sentons tous vieux à un moment ou à un autre de notre vie. »
Depuis leurs débuts, il y a dix ans, les Elysian Fields, portés aux nues par les regrettés Joey Ramone et Jeff Buckley, n’ont cessé de creuser, par leur musique et leurs paroles complexes, les sentiments les plus difficiles et les plus sombres de la nature humaine. D’où la difficulté d’accès pour certains auditeurs frileux, à entrer dans leur univers peu accueillant, et leur étiquette de groupe neurasthénique pour indie rockeux sous prozac. « Mais Elysian Fields a quand même fait des chansons pour faire la fête, affirme Oren. On aime s’amuser même si nos goûts nous portent plutôt vers des choses tristes. » Jennifer acquiesce et ajoute : « Par exemple, j’adore danser ». Mais le groupe ne nie pas la difficulté d’accès de leur musique : « Une chanson comme « Duel with Cudgels », est très exigeante avec l'auditeur, c’est une sorte de chinoiserie, complexe, qui représente notre duel avec l'industrie musicale (on a été un temps sur une major), et notre volonté de nous tenir loin des considérations mercantiles. »
Sans concession commerciale, ni compromission, Elysian Fields explore donc ses propres obsessions et expérimentations, ne prenant pas en compte les conventions du milieu rock auquel ils appartiennent.
A ce titre, Jennifer Charles compare l’album à « une fleur ou une femme. Les premières chansons, c'est l'aspect extérieur, difficile, froid peut-être, complexe, et puis quand on commence à réécouter l’album et ce, jusqu’au bout, on finit par s’y attacher, à mieux la connaissant connaître. De même, il faut entrer dans notre musique pour la comprendre. »
Ni vraiment folk, ni blues, ni jazz, ni pop, ni classique, la musique d’Elysian Fields ne se laisse pas facilement apprivoiser. Il faut suivre le fil rouge des feulements sensuels de Jennifer pour pénétrer dans cette forêt vierge faite de sons disparates, de guitares distordues, de claviers psychédéliques... Mais l’effort de compréhension vaut amplement la chandelle.

Violaine Schütz

www.elysianmusic.com

Luzing My Edge - Article paru en avril 2005 dans Trax

Texte : Violaine Schütz

LUZ
Luzing my Edge

A la fois dessinateur (dans Charlie hebdo, Magic…) et DJ selector (au Pulp, Queen, Nouveau Casino) Luz semble avoir le profil parfait du clubber invétéré. Ajoutez à son CV des flyers pour le Rex (célèbre boîte parisienne) et un fanzine Claudiquant sur le dancefloor, qui sort aujourd’hui en livre, vous admettrez alors que Renald Luzier était bien le client prédestiné pour un blind pointu. Vérification de l’hypothèse chez lui, où il nous reçoit avec chaleur, toutes moustaches et t-shirt Liquid Liquid dehors.


Vitalic
« My friend dario »
Extrait de l’album Ok Cowboy
Le jour où Vitalic a arrêté de joué du trubcka (instrument traditionnel ukrainien), a été un grand jour pour l’électro. Depuis, La Rock 01 a fait le tour des dancefloors mondiaux et son album risque d’être l’un des évènements majeurs de 2005…
C’est la première fois que j’ai une interro en musique, mon Dieu, qu’est ce que c’est que ça ? C’est bizarre. Ca ressemble à du sous Daft Punk. Ca doit être un piège, un truc à la con! Cerrone ? A non, Vitalic ? Je ne me souvenais pas que c’était aussi cheap. J’ai déjà dansé sur ses maxis comme un fou tout seul à la maison.
@ Tu étais torse-poil sur Vitalic à Atraxion, au premier rang ? Tu es souvent dans cet état ? Comment fais-tu alors pour dessiner ?
L : (fou rire) J’ai un peu tendance à me perdre en club, quand tout est beau.
Ca m’arrive souvent de finir torse-poil et carnets en l’air. A Atraxion, j’ai fait plein de dessins, mais ils sont incompréhensibles. On ne reconnaît absolument plus rien. C’est rigolo parce que quand on regarde mes dessins et que le trait est lisse, clair, bien vu, c’est que je n’ai ni bu, ni pris de drogue, ou alors que le concert était très chiant. Si le lecteur ne comprend absolument rien au dessin, c’est que le concert était bien. (Il me montre les fameux dessins, The hacker est reconnaissable, Vitalic se résume à deux traits de crayon, les derniers dessins ressemblent à de l’art primitif)
@ Tu devrais faire un livre avec tous les dessins de fin de soirée.
L : Mais là ce serait un bouquin d’art contemporain.
@ David Carretta ressemble à Mesrine sur ce dessin.
L : On m’a déjà pris pour Carretta, à cause de la moustache et des cheveux longs.
@ Le titre de ton fanzine Claudiquant sur le dancefloor, c’est parce que tu t’es souvent blessé sur le dancefloor?
L : C’est exactement ça. (rires) Je me fais mal tout le temps et après je reviens avec des bleus. Pourtant j’évite les pogos. Je me casse la gueule tout seul. Quand je dessine, je me blesse parfois. Au concert des Stooges au Bol d’or, il y avait des bikers énormes qui me fonçaient dessus et moi j’étais là, avec ma petite gueule de poppeux, totalement écrabouillé.
La première fois que je me suis blessé, c’était aux Transmusicales 2002, pendant un concert de Radio 4. Je dansais comme un fou, et en descendant les escaliers, et je me suis pété la cheville. Je me suis aussi pété le genou deux fois. Ce qui est pénible dans ces cas là, c’est que je perds mon carnet, des gens s’occupent de moi, et du coup je rate le concert. Donc maintenant, je fais attention.

Lcd soundsystem
“Daft Punk is playing at my house”
Extrait de l’album Lcd soundsystem
Ce nouveau single confirme tout le bien qu’on pense du gars Murphy et prouve que le disco-punk a encore de beaux jours devant lui !
L : (en transe) Lcd!!! Je les ai découvert en même temps que j’ai découvert l’envie de danser comme un taré. Je suis un jeune clubber. Pendant des années, j’écoutais du punk, ou de la musique introvertie. Je regardais mes chaussures, m’habillais en marron et restais entre mecs.
J’étais à bloc sur The Fall, et là j’entends chez un disquaire « Losing My Edge », avec sa voix de canard à la Mark E Smith (le chanteur de The Fall, ndr), qui ne chante pas dans le ton, qui est à la fois juste, et pas juste. Ca a été un révélateur : je me suis retrouvé petit à petit à sortir en club. Murphy raconte toujours qu’il a ce vieux passé punk, puis qu’il a pris un ecsta dans une soirée, et que là : « Boum ». Moi c’est pareil. J’étais totalement passé à côté des débuts de la techno, de S-Express, et tout ça. Puis j’ai pris un ecsta, et j’ai arrêté d’écouter des trucs déprimants.

Daft Punk
« Robot rock »
Extrait de l’album Human After All
Il n’a fallu que six semaines aux rois de la French Touch pour enregistrer les titres de leur nouvel album, attendu comme le messie. Ca s’entend !
L : Daft punk! Quelle merde! C’est ignoble. J’ai l’impression horrible qu’Europe est en train de jouer dans une pizzeria. Ah le retour du métal !
@ As-tu été sensible à la french touch, et à Daft Punk?
L : Non, je suis totalement passé à côté. Mais moi je suis toujours passé à côté des trucs. J’écoutais la musique des années 70 en 80. Heureusement avec le revival années 80, j’avais l’air moins con. (Il a l’air perturbé) Ce morceau n’a pas même pas la tendresse d’un film de cul. C’est odieux ! Arrête ça !

Rubin Steiner
„Universe“
Extrait de l’album Drum Major!
Le trublion Tourangeau récemment blind-testé vient de sortir un troisième album jouissif qui défie les modes et les étiquettes. Thoré-La-Rochette serait-elle la prochaine Big Apple ?
L : Rubin Steiner !
@ Tu as participé au projet Oumoupo avec lui, puis tu as écrit sa bio ?
L : On s’est vu, et ça a accroché, au-delà du fait qu’on est tourangeau (Il y a des Tourangeau aux Inrocks, et ce n’est pas pour ça qu’on n’est potes). J’ai toujours aimé le côté ludique de Rubin dans ces disques. Quand on s’est rencontré, il avait une bonne bouille, on avait des potes communs, on a bouffé de la chipolette à Thoré-la-Rochette. Et surtout on a découvert que j’ai été son prof de dessin. J’étais remplaçant d’un prof dans un foyer pour jeunes à la con pendant quatre mois. J’avais 16 ans et Rubin 14. Je donnais des gommes et des crayons à des nerds et des punks, en leur disant : démerdez-vous ! A l’époque Rubin avait une crête et préférait faire du skate, ce petit branleur. J’ai découvert l’histoire en rencontrant Rubin, qui m’a demandé si je n’avais pas été au foyer Courteline, si je n’avais pas un prénom à la con (Renald). Je ne lui ai jamais appris le dessin. La preuve, il s’est tourné vers la musique!

Hood
“The lost you”
Extrait de Outside Closer
Le chaînon manquant entre Sonic Youth et Autechre. Hood is good !
L : Hot chip ? C’est intriguant, cette rengaine, avec ce petit côté électro derrière.
Philippe Val ? (Il s’énerve.) Je connais, je passe pour un con là ?
@ Il y a un sample de quelqu’un que tu aimes bien dessus, Robert Wyatt.
L : Waaah ! Soft Machine me console beaucoup en ce moment. Avec l’histoire des Inrocks (Luz, dessinateur aux Inrocks depuis plus de huit ans, a décidé de quitter le navire suite à une tentative de censure la semaine dernière de la part de l'équipe dirigeante, ndr), je me suis mis à écouter des Wyatt, comme un bon copain qui te prend la main, et te dit, allez, viens, on va aller voir des nounours, tout va bien.
@ C’est Hood.
L : Là je suis nul. En fait, je me suis toujours dit que Hood c’était bien, et que j’avais déjà écouté. Je me suis auto persuadé que je connaissais Hood, mais je ne les ai jamais écouté. Si ces mecs font des samples de Robert Wyatt, je vais les acheter tout de suite.

The Bravery
“Unconditional”
Extrait de The Bravery
Ce groupe DIY new-yorkais est la dernière sensation rock en date lancée par le NME et MTV. Vous en avez marre ? Luz aussi !
L : Oui, oui, plus fort. J’ai un trou. Je le passe en soirée en plus. Bloc Party ? Kasabian ? Cure ?
@ The Bravery.
L : Ah oui ! C’est pompier, mais moi j’adore ça. Comme Kasabian. Ce sont des gros cons lookés comme des merdes. Puis tu écoutes, et en fait, c’est pas mal. (Il réfléchit en écoutant ce qui passe) The Bravery c’est un épouvantable en fait. Je crois que je l’ai mis dans les espoirs de l’année 2005 dans Magic, pauvres lecteurs, je vais faire un mea-culpa dans le prochain numéro. Il faudrait laisser la place aux critiques de dire qu’ils se sont trompés.
@ Que penses-tu du « retour » du rock?
L : Pour moi, en fait le rock renferme beaucoup de choses. The Bravery est rock, tout comme Adriano Celentano est rock. (Il insiste pour me faire écouter un 45 t rock d’Adriano Celentano, mais ne le trouve pas (ouf !) dans sa pile de disques, d’où dépassent quelques samplers Trax). Tu trouves du rock dans le hip-hop, dans la dance…Ca ne veut plus rien dire. Ce qui doit être bien c’est que les ados ne doivent plus s’engueuler à propos d’histoires de clans, ça existe toujours les clans ?
@ Dans mon lycée il y avait ceux qui étaient rock, pas très populaires, ceux qui se la jouaient kékés en écoutant du R&B. Et c’était la guerre…
L : Et après en fac, il y a ceux qui écoutent du rock indé, et ceux qui écoutent Bénabar. C’est horrible quand tu vas chez des gens, qui ont des platines et des disques, que tu as envie de passer un peu de son, et qu’ils n’ont que des Bénabar, des SanSévérino…
@ Quand tu mixe, quelle est ta playlist ? Les morceaux qui marchent à tous
les coups ?
L : Tiga enchaîné avec New Order, sur la compilation Channel 2 d’Output. (Il chante) Après tu fais semblant de toucher les boutons, et les gens croient que ce sont tes propres enchaînements. J’ai beaucoup fait avec le DJ-Kicks d’Erland Oye. Grâce à lui, les gens levaient les bras.
@ Tu es en train de révéler tous tes secrets.
L : On s’en fout, tout le monde sait que les DJ’s sont des escrocs. (rire démoniaque)
@ Les meilleurs endroits ou tu as été sélector ? Au Japon ?
L : J’ai joué dans un bar avec ma copine, une des Djettes des Girls’n’Roses, à Hong-kong. C’était le seul bar de toute la ville où ils passent de l’électro, le reste des bars passent de la house pouet pouet. Je passais des morceaux rock, du martial un peu binaire, ma copine des trucs groovy. On n’a réussi à faire danser personne. La deuxième fois, on s’est fait viré parce qu’on n’a pas passé de house (rires). En même temps, ça fait bien sur le CV quand tu écris que tu as mixé au Japon.

Asian Dub Foundation
« Tank »
Extrait de l’album Tank
Le plus engagé des groupes anglais. ADF et Luz : même combat ?
L : Monte le son pour faire chier le voisin du dessus. Il est violoniste.
Les Chemical ? Cornershop ? C’est génial ça ! Non en fait c’est bien atroce.
@ C’est un groupe très engagé politiquement.
Asian Dub?
@ Si.
L : Mais c’est bien là. La voix du mec est mieux, moins cockney que les précédents albums.
@ Tu écris dans Charlie Hebdo, est ce que tu penses que la musique et la politique font bon ménage ?
L : Non. Quand j’écoute les disques que je reçois à Charlie, ce sont des groupes engagés où les textes seulement sont travaillés. Ils oublient que la musique aussi doit être intéressante.
Il n’y a pas besoin de textes pour qu’une musique soit politique. Lcd Soundsystem sont politiques parce qu’ils font danser à New York, alors que c’est interdit. C’est déjà de l’action. Une musique qui te lave complètement, te laissant réfléchir à autre chose est politique. Il n’y a pas besoin de faire des rédactions de 3ème pour dire que Sarkozy est méchant.
@ Comment es-tu passé de la politique à la musique ?
L : C’était au moment où j’ai recommencé à faire des fanzines, et à les distribuer dans des manifs, après les élections du 21 Avril, Le Pen, etc…C’étaient surtout des fanzines « contre » quelque chose. Et j’ai eu envie, d’exprimer des pensées plus positives. Et la musique est positive.
@ Il y a aussi des musiques qui disent non…
L : Oui, les Dead Kennedy’s savent très bien le faire par exemple, de manière drôle. Le problème de la chanson engagée c’est le côté « donneurs de leçons » très casse couille.

Francoiz Breut
« La boîte de nuit »
Extrait de l’album Une Saison Volée
La discrète française s’est faite découverte grâce aux chansons de Dominique A avant de s’émanciper en solo avec ses chansons mélancoliques.
L : Ca ressemble à du Francoiz Breut qui chante bien.
@ C’est Francoiz qui chante bien.
L : C’est Dominique A qui doit avoir les boules.
Sur ce morceau, elle dit : « ne cherche pas ailleurs, sur je ne sais quel dancefloor, je suis toutes les femmes, sors de la boîte de nuit ».
L : Toutes les filles ! Il ne faut pas abuser non plus, elle va où en boîte ? Dans quelle ville ?
J’ai du rater un chapitre, elle doit s’être métamorphosée en Björk …
@ Est ce que quelques fois tu en as marre du dancefloor ?
Pour l’instant je n’ai pas eu de grosse déception. De toute façon dès le départ, je sais qu’il s’agit d’un milieu artificiel. J’y vais pour faire le con, et aussi un peu d’ethnologie.
@ Dans tes BD tu critiques beaucoup les pass presse, les sweats à capuche, le carré VIP…
Ce qui me fait peur c’est que ces petites obsessions prennent le pas sur la musique. Comme cette manie des badges : plus personne ne veut payer sa place. Je voudrais dire au lecteur de Trax qu’être en backstage n’est pas si mortel ! Ca vaut le coup pour les boissons gratuites, mais comme l’industrie va mal, il va y en avoir de moins en moins. (Il pousse un râle de désespoir). Ca ça va être vraiment dur !

New Order
“Fast synth”
Extrait de Waiting For the Sirens’ Call
Les Fab Four mancuniens font leur comeback avec un nouvel album de « retour aux sources ». Ressortez les baggys et le sifflet fluo !
L : Waouh, Give it up (il lève les bras). Pet Shop Boys? New Order? J’imagine très bien Basterra (le rédacteur en chef du magazine Magic) se secouer la gomina dessus.
@ Quels ont été tes meilleurs souvenirs en club ?
L : La fois où je me suis fait secouer la bite par une des cheftaines du Pulp, parce que je n’arrivais pas à pisser depuis une demi-heure. Elle m’a dit : « Allez, allez mon petit père, on y va ! ».
@ C’est ton meilleur souvenir de soirée ?
L : Ah non ! J’ai un souvenir énorme d’une soirée en Hongrie, au Cinetrip, dans les bains chauds. Il y avait trois pistes de danse avec des DJ’s drum’n’bass partout, et des piscines couvertes. Dans le bain chaud lounge, une danseuse du ventre, genre Natasha Atlas, s’agitait avec un sabre sur la tête et le sabre ne bougeait pas. C’était incroyable ! Dans le genre énorme, il y a eu la soirée Trax au Queen avec les Chemical Brothers, où j’ai fait Jésus, en grimpant sur des filets et assommé trois personnes en descendant. C’est là que j’ai rencontré ma chérie.
@ C’est grâce à Trax que tu as rencontré ta copine ?
L : (rires) Oui, vous serez témoins à mon mariage ?


Claudiquant Sur Le Dancefloor (Hoëbeke)
Sortie : le 15/04/2005

Amy Winehouse - Un bon cru / Interview à Cardiff



Amy Winehouse
Un bon cru

(article paru dans Rolling Stone en avril 2007)
texte : Violaine Schütz

Sous ses atours aguicheurs de Barbie gothique aux cheveux crêpés et tatouages de marin, Amy Winehouse, frêle Anglaise de 23 ans rivalise avec les grandes voix de la soul 60’s en réinventant le r’n’b d’antan. Troublant ! Rencontre...

Dépression, alcool, troubles alimentaires…A 23 ans, Amy Winehouse, la chanteuse-songwriter de Camden dont la pop-soul écorchée et suave affole les charts anglais, est une vieille âme qui semble avoir tout vécu. « You know I’m no good » clame-t-elle d’ailleurs sur l’un des entêtants singles tirés de son second album, Back To Black, numéro 1 Outre-Manche et promu à tous les honneurs chez nous.
Ne pas s’étonner donc, avec un tel tempérament, qu’en la rencontrant à Cardiff, capitale morose du Pays De Galle, où elle donne un concert à guichet fermé, Amy se révèle du genre pas facile, ni très causante. Celle qui a pour réputation de congédier la plupart de ses interlocuteurs au bout de dix minutes de réponses laconiques à leurs questions « à la con » fait honneur à sa légende.
Notre tête-à-tête de vingt-cinq minutes avec la jeune diva constituerait même, selon sa maison de disques, un record ; Mais jamais Amy ne s’étendra sur une question, comme si l’exercice promotionnel relevait pour elle du surhumain. D’entrée de jeu, elle ronchonne sur le retard du service de son café, en prévenant : « Ce n’est pas que je n’aime pas les journalistes. C’est simplement que je ne suis pas une bonne cliente. Je ne suis nulle pour les interviews. Je ne sais pas disserter des heures sur un morceau. Moi, je suis juste musicienne, j’écris des chansons et essaie d’être honnête dans mes propos comme dans mes textes, mon job s’arrête là ! Et puis, j’estime en avoir assez révélé dans mes paroles. »
Amy n’a pas tort. Rarement, on aura entendu sous une plume si jeune, des textes si incisifs et intimes, autobiographiques jusqu’au trouble. Ecouter Amy, c’est comme pénétrer le journal intime d’une femme en devenir, racontant avec crudité, tendresse et humour les affres de l’amour torturé et d’une vie brulée par les deux bouts. Entre une Pete Doherty soulful et une Shane McGowan jeune, Amy joue franc-jeu. « Ils ont voulu m’envoyer en cure de désintox, mais j’ai dit non, non, non ». C’est Ainsi que la post-ado effrontée ouvre le bal (pas vraiment pour les débutantes) de son second album avec l’épatant gospel de « Rehab », single en passe de devenir l’hymne de toute une génération biberonnée aux addictions (à l’herbe, à la coke, à myspace) mais refusant de marcher droit.

Pour Amy, « les centres de désintox, c’est bon pour Mariah Carey. » Et son fameux penchant pour la bouteille, elle l’assume sans tituber. « Je ne compte plus les fois où l’abus d’alcool m’a embarrassé, où je me suis blessé avec le micro, où j’ai oublié mes paroles. Ce qui est bien, c’est qu’à chaque fois que je me ridiculise, je ne me rappelle de rien après, c’est le blackout ! Ok, les vidéos sur le net me rappellent ces états là mais je ne les regarde pas (rires). »
Du regard des autres, Amy s’en tamponne, comme de pas de choses en fait. Essayer d’évoquer avec elle ses deux Brit Awards ou sa figuration en haut de la fameuse « cool list » du NME, vous n’obtiendrez d’elle qu’un vague air de mépris. Une nonchalance qu’on retrouve aussi sur scène, où entourée de blacks en costard dignes d’une séquence jazz d’un épisode d’Ally McBeal, Amy traîne sa voix rauque et ses mots crus en regardant à peine le public. « La seule chose qui compte pour moi, c’est la musique. Mes chansons sont une thérapie : Elles arrêtent le temps, me permettent de réfléchir et de transformer le négatif en légèreté. « Back to black » est un retour à un tas d’humeurs noires, mais j’essaie d’en parler avec humour, de me souvenir sans dramatiser. Je ne veux pas me demander comment j’ai pu survivre à ça, mais rire du passé. Je pense que je serais devenue totalement timbrée si je n’avais pas écrit de chansons. Et ça, je le sais depuis qu’à 13 ans, j’ai empoigné la guitare de mon frère pour commencer à composer. »
Enfant de la balle, Amy connaît la chanson. Son père, Mitch, chauffeur de taxi et fan inconditionnel de jazz, lui faisait écouter ses trésors 40’s quand elle était toute petite. Des parents mélomanes qui l’inscrivent à 12 ans dans une école de danse et de chant de Londres nommée Sylvia Young et responsable de catastrophes comme le mauvais pop band formaté S Club 7. Heureusement pour nous, Amy est virée de l’établissement au bout d’un an. A cause d’un piercing et « d’un manque de discipline. De toute façon, je n’ai absolument rien appris là-bas. C’était une école à la con, dans le trip Fame. » Avant ça, Amy montait à 10 ans un groupe de rap juif (!) influencé par les Salt’n’Pepa. « Mes premières héroïnes, je voulais être l’une d’elles. »
Ce n’est que plus tard, à 21 ans, au hasard d’un jukebox, et après avoir sorti un premier album inégal de jazz teinté de hip-hop (Frank en 2003), qu’Amy change d’idoles et trouve sa voix. Ses nouvelles muses, les Shangri La’s et leurs mélodies au romantisme exacerbé offre un écho parfait à la rupture amoureuse (accompagnée d’une sévère dépression) que traverse alors Amy, et qu’exorcise Back to Black. « Les girls groups ont réussi un truc extraordinaire : avoir des chansons pour chaque étape de la relation amoureuse, du coup de foudre à l’envie de mourir que tu ressens après une séparation. Et la simplicité de ces compositions me touche. J’avais envie de retourner à cette forme de pureté et de sincérité un peu extrême ». Une formule gagnante, puisqu’en associant à ces rythmes pop chaloupés millésimés des textes à l’honnêteté poignante et une prod r’n’b actuelle, Amy nous offre sans doute l’album -soul- de l’année. « Back To Black est la chose dont je suis le plus fière car j’ai l’impression d’être arrivée à retranscrire exactement ce qu’il y avait dans ma tête. Enfin, non, la chose dont je suis la plus fière en fait, c’est d’être en vie. »

www.amywinehouse.co.uk

Factory Records - Article publié dans le dossier de presse français du film « 24 Hour Party People »

Texte : Violaine Schütz

Factory
Fabrication d'un mythe

Le punk, la new wave, new order, l'hacienda, Martin Hannet....Factory c'était tout ça, et plus encore. Un vrai mythe, plus encore que la factory d'Andy Warhol...La factory était une usine, mais une usine à rêves où n'officiaient que de bons ouvriers, une usine à tubes, un truc énorme.

En 1977 the clash est le meilleur groupe du monde et la jeunesse révoltée contre le conservatisme ambiant se passionne pour de nouveaux groupes teigneux et enérgiques : comme les Sex Pistols, Magazine et les Buzzcocks. Parmi eux le présentateur tv Tony Wilson.
Celui ci fonde le Factory club, afin d'y faire jouer ses groupes préférés : The Durutti Column, Cabaret Voltaire et Joy Division. Après ce concert il décide d'approfondir l'expérience en fondant un label : Factory. Pour lui, l'esprit de factory est que chacun prenne du plaisir à faire ce qu'il fait, et que les bénéfices soient partagés équitablement entre les groupes et l'entreprise : bon esprit quoi!!!
Cet état d'esprit, accompagnée de la qualité de la musique et du design allaient devenir la marque de fabique de Factory. Tony Wilson sait reconnaitre 2 créateurs de génie : D'abord en la personne du producteur Martin Hannet. Il est le responsable du premier et mythique premier album des Buzzcocks, et a produit en 78, le premier single d'Orchestral Manoeuvre in the Dark : « Electricity », chef d'oeuvre électro-pop indépassable ( bien meilleur que leur tube commercial "enola gay"). La même année, Hannet supervise l'enregistrement du premier album de Joy Division : « Unknown Pleasure ». Rythme de batterie métronomique, voix d'outre tombe et graphisme de Peter Saville. Ce dernier, fasciné par le situationnisme de Guy Debord, est à l'origine de l'esthétique unique, froide et minimaliste de Factory. Car Factory est plus que la fabrique de groupes géniaux, c'était un « concept store » avant l'heure, qui ne vous disait pas seulement quoi écouter, mais aussi comment adhérer à tout un idéal de vie : parmi les numéros fac on trouve en effet des cassettes, des videos, des posters, des badges, des concerts, des T-shirts, des cartes de voeux, et même des sucres d'orge...siglés. Factory a même décidé (avec New Oder) de créer un nouveau club, FAC 51 l' Hacienda à Manchester, qui n'allait pas tarder de devenir Madchester, à cause de la folie de sa nouvelle scène musicale, de l'ecsta et du foot. L'image de fac est reconnaissable au premier abord grâce à la pâte de Peter Saville qui opte la plupart du temps pour des formes géométriques et des couleurs tranchées. Pour la pochette de « Closer » , il crée une atmosphère inquiétante représentant de façon ultra réaliste un tombeau : cette image cristallise à elle seule la cold-wave naissante. Mais 1980, c'est aussi le chant du cygne de Ian Curtis, qui met fin à ses jours.
L'ombre s'accompagnant (presque) toujours de la lumière, et la mort de la renaissance, les trois membres de Joy restants forment "New Order". Celui-ci signe, en 1983, avec Blue Monday, une sorte de fusion entre cold-wave et disco, un morceau à la fois morose (l'ombre de Ian plane encore) et dansant (New order est né, et la house avec). Si Joy Division et New Order restent les figures les plus connues du label, d'autres formations plus discrètes méritent une écoute plus attentive.
The Durutti Column, projet musical du meilleur guitariste au monde : Vini Reilly dont la musique évoque une sorte de " désolation envoûtante, une hypnose triste " préfigurant avec dix ans d'avance tout le courant post-rock et Section 25 auteur en 1984 de From the Hip, album fantomatique et obsédant. The Wake indispensable groupe pop, sorte de New Order underground. Enfin, citons encore parmi les figures marquantes du label Cabaret Voltaire, redécouvert et remixé récemment par toute la scène electroclash, A Certain Ratio, qu'on peut redécouvrir grâce à l'impeccable réédition "early" chez soul jazz (qui réédite aussi les banlieusardes de ESG). Crispy Ambulance et plus tard Stockholm Monsters, Miaow, et l'irrésistible Cath Carroll, qui en quittant Miaow aurait pu avoir un destin à la Björk. Happy Mondays, maître de la fusion rock-house de la fin des années 80, et en partie responsables de la déchéance du label, à cause d'abus illicites divers.

The Rapture - Rave éveillée (article paru en septembre 2006 dans Trax)

http://stereogum.com/img/rapture2006.jpg
Texte : Violaine Schütz

The Rapture
Rave éveillée

The Rapture a réinventé le rêve américain. D’obscur groupuscule noisy, né il y a dix ans dans l’anonymat d’une banlieue de San Diego, il est devenu la sensation post-post-punk que les clubs branchés de la terre entière s’arrachent. Comment ? En tentant l’aventure techno. Une des plus palpitantes de ce siècle…

Evoquant la signature récente du groupe avec une major (Mercury/Universal), Patrice Bardot bouclait ainsi son papier de couv consacré à The Rapture, en 2003 : « Un peu comme à l’armée : si tu as signé, c’est pour en chier. The Rapture va-t-il se venger en ne parlant plus aux journalistes ? James Murphy va-t-il s’acheter un loft rue du Faubourg St-Honoré avec l’avance de Mercury ? Nolwenn Leroy sera-t-elle remixée par ses compagnons de label ? » Pas de panique, rien de tout ceci n’est arrivé. Par contre, à l’écoute de Pieces of the People We Love, le second (et très attendu) album du groupe, force est de constater que beaucoup de changements ont été opérés. Une prod qui a coûté bonbon, du disco en veux-tu, voilà…Et comme les Rapture causent encore aux journalistes, on a profité d’une chaude matinée de juillet, pour en savoir plus sur ces nouveautés ensoleillées.

Rapture à la Plage
Un café chic dans le cinquième arrondissement de Paris : Vitto Roccoforte (le batteur aux cheveux grisonnants), Luke Jenner (le grand frisé, chanteur et guitariste), ainsi que les faux jumeaux (et vrais cousins), Mattie Safer (voix, basse, synthés) et Gabriel Andruzzi (saxo), ont tous leur théorie sur The Rapture vol II, le blockbuster de la rentrée dance. « Il est plus lumineux et spacieux », assure Vito. Pour Gabe, « Il est plus fun, soulful et évident qu’Echoes. C’est un peu « The Rapture va à la plage » ». Pas faux. Sur Pieces of The People we Love, le punk-funk d’antan a pris des couleurs, bronzé au soleil de L.A. (où la moitié des enregistrements ont eu lieu). Il miroite de reflets ignorés, étincèle d’un groove nouveau : « On est vraiment un groupe de funk, depuis l’arrivée de Gabe », assure Mattie. Ce changement de cap (sous le soleil exactement), ils le doivent en partie à une production éclairée : Paul Epworth (Bloc Party), Danger Mouse (Gorillaz et Gnarls Barkley), Ewan Pearson (remixeur des Chemical Brothers et de Depeche Mode). Tous ont contribué à faire que sur Pieces, The Rapture sonne comme il toujours du le faire, soit comme un incroyable groupe de dance.

Rapture à la dèche
Il est bien loin le temps où Luke servait des godets dans un bar new-yorkais (un cocktail y porte aujourd’hui son nom, le Jenner-ino). Bien loin aussi celui où les garçons dormaient sous les ponts. En 1997, date des premiers pas de la formation à San Diego, personne n’aurait donné très cher du cas (social) The Rapture. Fondé par Luke et Vito, deux fans de baseball épris de punk angoissé, le groupe n’existe que pour pouvoir entrer au club Casbah, le seul endroit de la ville où il se passe quelque chose. Leur premier EP, l’obscur et bruitiste Mirror (sorti en 1999) « n’était qu’une sorte de brouillon de ce qu’on est aujourd’hui, explique Luke. Il était très influencé par Suicide, Can, Cure, Television. On essayait de faire comme les grands, mais on était trop bidons pour leur arriver à la cheville ». En effet, à part une version primitive d’ « Olio » assez remuante, c’était loin d’être le délire auditif. Mais un fait divers va changer la donne.

New York’s dreamings
Un jour, leur bassiste de l’époque, Brooks Bonstin, qui hébergeait le duo, retrouve sa maison détruite dans un incendie. Luke et Vito ne avent pas où aller ; Bonstin leur propose de s’installer à Seattle chez une amie à lui. Il omet cependant un détail. La fille en question bosse chez Sub Pop, le label grunge mythique. Elle conseille à son boss, Jonathan Poneman, d’aller les voir live. Coup de foudre ! Le découvreur de Nirvana craque pour leur prestation apocalyptique et signe illico le combo pour un mini LP. Sauf que, Poneman n’est pas le seul sur le coup. Un autre patron de label, qui les a vu lors d’un concert new-yorkais improvisé a lui aussi flashé sur les Californiens. Son nom, James Murphy. Il est le tout jeune fondateur, avec l’ex Mo Wax Tim Goldsworthy de la structure DFA. Début 2000, il enjoint le groupe à rejoindre la Big Apple, pour produire l’album promis à Sub Pop. « C’était une période difficile, se souvient Luke. On vivait avec cinq dollars en poche, et devait affronter en studio des gens qu’on venait juste de rencontrer et qui avaient un tas d’idées sur nous. Mais c’est cette étape tendue, concordant avec l’arrivée de Matt (17 ans à l’époque et de fortes influences disco, ndr) qui a servi de révélation dance. J’ai grandi en écoutant Depeche Mode et New Order, sans réaliser que c’était de la musique de club. J’ai vraiment pris conscience de ça à New York. Je pense aujourd’hui que nous faisons partie de l’histoire de cette ville. Nous somme une extension de sa mue « clubbing », car on a subi ce qui se passait alors, et en même temps on a contribué à faire d’elle ce qu’elle est aujourd’hui. »

Echos hype
De cette folle période où se succèdent les fêtes DFA, reste un témoignage : le EP Out Of The Races And Onto The Tracks (2001), qui laisse entrapercevoir les penchants dance de Rapture. Mais c’est le maxi « House Of Jealous Lovers » sorti fin 2001, qui va tout chambouler. Le tube monumental, qui mélange guitares post-punk et cris typiquement new-wave à un rythme discoïde, déclenche l’hystérie dans tous les clubs qui le jouent, et permet à Rapture de tourner partout. Des prestations au festival Aquaplanning de Hyères en 2002, puis à la Villette Numérique répandent la nouvelle en France. The Rapture devient alors le phénomène mutant à signer d’urgence. Dans l’euphorie, ils enregistrent douze titres en septembre 2002 sous le titre Echoes. Débute alors une véritable foire d’empoigne entre labels pour récupérer le groupe qui pactise finalement avec Universal en juillet 2003 pour un montant, que la légende, veut exorbitant. S’en suit une tournée de plus d’un an passé à écumer les clubs techno et les festivals rock. Le propos (live) s’affine : énergie punk-funk, certes, mais aussi improvisations free-jazz ou funk pur.

Coups d’une nuit ?
La tournée est un succès. Pourtant The Rapture sont inquiets. Echoes a cartonné. Ils doivent prouver, au fameux tournant du second LP, qu’ils ne sont pas des coups d’un soir. Pendant trois ans, The Rapture va donc se donner les moyens d’assurer, à commencer par ceux financiers. Pour réaliser Pieces Of The People we love, Mercury leur offre Paul Epworth, Danger Mouse et Ewan Pearson. Mais le processus d’écriture ne va pas se faire sans écartèlement. Luke se souvient d’un bras de fer constant : « Parfois, on ne veut pas reconnaître ce qui serait le mieux pour nous. Il y a des chansons qu’on ne voulait même pas enregistrer, comme notre premier single, « Get Myself Into It »! Avec ces producteurs, on a beaucoup appris. Notamment avec Danger Mouse qui nous traitait comme de simples samples. Mais, c’était pour notre bien ! (rires)» Les affrontements se jouèrent aussi ailleurs : «« On en a écrit plus de 40 chansons et enregistré 17. Finalement il en reste 10, c’est une sorte de best of, explique Luke. Comme nous avions beaucoup de matériel, il fallait se battre pour son point de vue, et étudier les arguments de chaque membre du groupe. » Mais l’accouchement opéré, tous sont contents du résultat, à l’instar de Matt : « Cet album est bien meilleur que le précédent, parce qu’on peut y entendre la voix de chacun. On a tous progressé et nous sentions plus confiants pour développer nos individualités musicales. J’ai fait la moitié des vocaux, parce que techniquement je m’en sentais enfin capable. »

Party de plaisir
Grace à une prod lumineuse, et à sa nouvelle démocratie (« On est un vrai groupe maintenant, claironne Vito) The Rapture assume aujourd’hui pleinement sa vraie nature : dansante, frivole, festive, et proprement jouissive. Il n’a même jamais été aussi proche de la signification de son patronyme (« extase » en français), reniant ses élans noirs et destructeurs pour une house complexe mais décomplexée, aux accents pop et psychédéliques. The Rapture ose enfin s’imposer ouvertement comme une machine à danser. « Les deux seules choses sur lesquelles nous sommes tous d’accord concernant le groupe, déclame Luke, c’est que : Nous sommes un « party band », et que nous aimons la « dance music ». Etre DJ’s et jouer live en club nous a aidé à comprendre ce qui fait bouger une foule, et a vraiment influencé le disque. » Pour Matt, « Nous sommes des clubbers et Pieces of People We Love, une grande fête. La métaphore qui définit d’ailleurs le mieux le groupe à mon sens, c’est celle d’un appart improvisé en dancefoor. Des gens très différents se font de l’œil, et peut-être bien qu’ils finiront par baiser ensemble dans un recoin au son d’un saxo fou et d’un beat ravageur…(un gang bang, quoi ! ndr) « Avant, on se demandait comment on allait faire pour manger, poursuit Luke. Maintenant, on se préoccupe seulement de savoir comment faire danser les gens. On vit un putain de rêve éveillé ! » Et nous-avec eux- une rave éveillée qu’on n’est pas prêt d’écourter…A quand l’after ?

Pieces of the People We Love (Mercury/Universal)
www.therapturemusic.co.uk
www.myspace.com/therapture

Josek K / itw de Paul Haig - article paru en novembre 2006 dans Trax

 


Texte : Violaine Schütz Josef K et ses descendants Franz Ferdinand fait la première pause de sa carrière. Pendant ce temps, leur label Domino poursuit des fouilles archéologiques, en sortant une compilation des Ecossais Josef K. La plus grosse influence de Kapranos et sa bande. On a saisi l’occasion pour retrouver le parrain Paul Haig, et aborder (enfin) avec recul ce son « art rock » mélodique et livide, qui n’en finit plus d’affoler les dancefloors en perdition. En espérant danser encore longtemps, la larme à l’œil et le cœur affolé au son des disciples du maître. Heureux celui, qui, jamais de sa vie, n’a écouté Josef K. Car il s’apprête à découvrir une mine mélodique d’une richesse incroyable. Début 1980, Josef K n’était rien de moins que la plus belle promesse pop de l’Ecosse. Leur post-punk sonnait comme le désordre agencé de rythmes de funk blafard, de paroles pessimistes et d’une voix (celle de l’immense Paul Haig), entre volupté de crooner et noirceur new-wave. Tout cela faisait de Josef K (avec ses confrères Orange Juice, et The Fire Engines) le fer de lance d’un mouvement-l’école écossaise- qui allait influencer une ribambelle de groupes de l’époque et plus étonnamment, d’aujourd’hui. Sans Josef K, il n’y aurait pas eu Franz Ferdinand, ni Maxïmo Park. « Il a été dit que nous avons influencé pas mal de groupes. Alex Kapranos a aussi déclaré plusieurs fois que sans Josef K, ils n’auraient jamais existé. Je les crois, car nous même étions très influencés par Pere Ubu, Television et Joy Division. » La mécanique du fan qui passe de simple auditeur à créateur parce qu’il a été fortement marqué par un groupe, on connaît. Mais il y a quelque de plus qui justifie l’impact de Josef K. Paul Haig le touche du doigt lorsqu’il note : « Josef K était un mode de vie. Il suivait un sentiment naturel d’aliénation courant à ce moment là. Je pense que nous avons fait une musique importante car elle n’est pas ressentie pas comme datée dans le climat actuel.” Pourquoi des groupes actuels comme Franz Ferdinand vont puiser leurs racines dans une époque aussi obscure ? Faut-il y voir une concordance des temps entre l’Angleterre fatiguée de la fin 70’s et celle de la fin 2006 ? Une Angleterre qui placarde en couverture de sa bible pop vieillissante, le NME, des Klaxons, tout smileys dehors, déclamant : « Ce pays a besoin de faire la fête. Ce pays a besoin de nous ! ». Paul Haig explique : « Quand nous tournions en Hollande, nous sommes tombés sur un poster nous décrivant comme une « vague de dépression » (rires)! Il y avait une obscurité saine dans notre musique, et j’ai toujours cherché à rendre le désespoir supportable, avec des beats dance.” Aujourd’hui, Paul, qui vit toujours à Edimbourg, bosse sur des tracks techno. Il avait commencé à la mort de Josef K, en 1981, dissolvant le groupe pour une question de survie : « Josef K était un mal qu’il fallait éradiquer. » A l’instar de New Order après le suicide de Ian Curtis, Haig faisait son coming out disco avec des chef d’œuvres électro pop comme The Warp Of Pure Fun. Aujourd’hui, les groupes anglais les plus intéressants (FF, Maxïmo Park mais aussi Art Brut) piochent dans cette aptitude toute british (l’humour noir ?) à injecter un groove insidieux à des riffs rock. Il était temps. Temps que la pop devienne plus complexe. Temps qu’une compil de Josef K sorte pour que les rockeurs arrêtent le crack cinq minutes et se penchent sur le passé…afin d’écrire des hymnes de dance rock subtil qui resteront gravés pour l’éternité... Entomology (Domino/Pias)

Squarepusher - Ecce homo / Article de couv paru en novembre 2006 dans Trax



Texte de couv : Violaine Schütz

Squarepusher
Ecce homo

Onze ans de carrière, dix albums, une collaboration fidèle à un label de grande classe, Warp, c’est une légende de l’électronique qu’on rencontre à Londres, pour une des rares interviews accordées à la presse. C’est que le mythe Squarepusher, n’est pas réputé cordial. Pourtant, derrière la machine, c’est bien l’homme qu’on a rencontré. Et quel homme !


Dans le métro, une affiche de Lily Allen, sur laquelle il est écrit « sale pute ». Partout, des posters de Razorlight et des Killers (américains pourtant), et puis ce petit dej bien gras aux beans-bacon, la cocaïnomane Kate Moss présentée comme un modèle de carrière en couv’ d’un mag gratuit sur la réussite, des fashion victimes aux cheveux arc-en-ciel entassées devant les boutiques. Voilà ce qu’est l’Angleterre pour le touriste français qui en un jour de trip promotionnel ne parvient qu’à accéder au cliché.

Cette excentricité exacerbée mais paradoxalement élevée au rang du plus grand conformisme, est totalement incarnée par la greluche blonde platine en mini robe écossaise qui présente le « culture show ». Une émission de la BBC à laquelle est invité Squarepusher, et où nous devons le rejoindre. La scène se déroule à l’Annex 3, un bar branché loué par la puissante chaine anglaise, qui ressemble à s’y méprendre à un club échangiste, avec ses dorures baroco-kitsh. Une armée d’assistantes, de maquilleurs, de gens de la télé refont les prises de la présentatrice.

Pendant ce temps, faussement impassible, et réellement tendu (cf sa chemise corail trempée de sueur), le grand Tom Jenkinson alias Squarepusher essaie de se concentrer sur sa basse. N’y parvenant pas, il tourne le dos à l’assemblée qui s’affaire autour des chips « cheese-onion » et des sandwichs de pain de mie triangulaires (le repas du staff pour la journée) en répétant avec une dextérité qui frôle la virtuosité les notes du « Rappers Delight » de Grand Master Flash. Tout de suite, ça vous situe un homme. Non, il n’a pas joué la ligne de basse de la dernière drouille rock placardée en couv du NME, mais Grandmaster flash. Et quand on l’entend enregistrer son morceau, seul à la basse, sans machines, on comprend pourquoi Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers a dit de lui qu’il était le plus grand joueur de basse du monde. On comprend aussi qu’André 3000 d’Outkast, réclame une collaboration avec ce petit génie qui ne semble décidément pas à sa place dans ce décor très « strass et paillettes ». D’ailleurs, il ne fera qu’une prise de son titre, là où on lui en exigeait trois pour « des gros plans », et bafouillera pendant son bout d’interview avec la présentatrice. C’est un euphémisme de dire que ce type ne semble pas à l’aise avec les médias.

Sale boulot

Peu après, c’est les intestins noués qu’on le trouve dans un café. Le bonhomme est connu pour détester les interviews, pour préférer les emails et pour fausser compagnie à ses interlocuteurs. D’entrée de jeu, après la réussite de « cette tache critique » que constitue la sortie de son sachet d’Earl Grey de l’eau chaude sans en foutre partout, il explique, d’une voix puissante et déterminée : « Je n’aime pas les interviews. Je suis bien meilleur à l’écrit qu’à l’oral. Et puis, les journalistes ne veulent écrire que ceux qu’ils veulent entendre. Trop de groupes rentrent dans le jeu des médias, en disant exactement ce que les gens attendent, c’est une connerie ! La musique se suffit à elle-même, elle parle d’elle-même, elle n’a pas besoin de commentaires. Je n’aime pas l’idée d’avoir à me justifier, à m’expliquer, à promouvoir. Il y a toujours une disparité au final entre la façon dont se voit un musicien et la façon dont le monde le voit. On ne se prend pas au sérieux, mais chacun va y aller de sa théorie. Et finalement je resterai prisonnier de l’image médiatique, que je parle, ou pas. Et c’est très dangereux d’enfermer une personne, qui par essence est susceptible de changements, dans une image fixe, comme on le ferait pour un produit. Regarde par exemple que ce que les mass-médias ont fait de Michael Jackson, tu trouves ça cool ?»
Il s’excuse pour son impolitesse. Mais que faire après ça ? Prendre son avion illico, rentrer six pieds sous le pavé bruyant d’Oxford Street. Alors qu’on a l’impression d’exercer le pire métier de crevard du monde, Tom donne le coup de grâce : « Il faut en finir avec la rhétorique pour renouer avec l’enthousiasme. » Aie ! Et le pire, c’est que le bougre n’a pas tort ; Le mélomane sait qu’il faut parfois se taire et écouter. En finir avec les théories vaseuses qui n’ont jamais effleuré l’esprit du musicien. S’en tenir à ses dires, et aux faits. On laissera donc les beaux discours de côté. Ne pas décortiquer, embrumer, laisser parler le plus possible « le maître »... Car le plus bel hommage que l’on peut faire à une musique complexe et réputée « difficile » n’est-il pas de l’aborder avec simplicité ?

Pote avec Aphex

Et le premier fait très simple concernant Squarepusher, n’est pas le moindre. Le prodigue a été découvert par Richard- Aphex Twin- D. James alors qu’il improvisait de la basse sur de la jungle : « C’est vrai et c’était très drôle, c’était mon tout premier concert sous le nom de Squarepusher, en septembre 1995, dans un pub miteux de Londres. D’un coup, je vois ce type, dont je suivais la musique, et connaissais la gueule. Je me souviens m’être dit : s’il vient me voir à la fin du set, ce serait fabuleux, et s’il ne me calcule pas, je serais vraiment désespéré. Et il est venu ! On a un peu discuté et je lui donné une K7 de mes morceaux que j’avais sur moi. C’est devenu Feed Me Weird Things, une compilation de mes travaux des deux années précédentes. »
En 1995, le jeune franc tireur techno se retrouve à 20 ans signé chez Warp et les deux années suivantes, après quelques maxis, deux albums sortent : Le premier, Feed Me Weird Things (96) sur le label d'Aphex, Rephlex, et le second, Hard Normal Daddy (97), chez Warp, dévoilent au monde un producteur fou, télescopant quelques centaines d’années de musique, pour aboutir à un collage de bidouillages sonores inédit entre free jazz et drum & bass. Squarepusher devient alors le chainon manquant entre les ravers et l’intelligentsia techno. Créateur ultra inventif, cultivé, et lecteur de philosophie (il aime citer Schopenhauer), la presse voit vite en lui le talent novateur à formation classique (il était bassiste et batteur dans divers groupes avant Squarepusher) qui remplira parfaitement les colonnes occupées auparavant par des « man machine » au QI de footballeurs.

Trop humain

Mais le problème avec les médias, c’est que pour parler de Tom, ils en font des tonnes, dissertant longuement sur l’improvisation, la texture de sons qui au fil de 10 albums seront en perpétuel renouvellement. Impossible d’étiqueter Squarepusher, même si certains inventeront le terme de « drill & bass ». Tom reste difficile à enfermer, à catégoriser, en bon briseur de chapelles et éternel insatisfait. « J’ai toujours essayé de ne pas refaire le même album, de ne pas répéter une formule. C’est ma seule règle. Je prends donc le fait d’être difficile à catégoriser comme un compliment. Je ne critique pas la catégorisation (bien pratique dans les magasins de disques), elle a une fonction sociale car elle permet aux gens, et surtout aux jeunes de s’identifier à un mouvement, d’être dans l’appartenance. Mais à part ça, les étiquettes m’ennuient. Je ne pense pas qu’il y ait une séparation nette entre les genres, même entre le rock ou la house. Tout ça reste de la musique. Acoustique ou électronique, c’est pareil. Cela est sans doute rattaché aux fonctions qu’on attribue aux instruments. On pense que les machines sont faites pour obtenir des mélodies mécaniques et répétitives. Mais pourquoi pense-ton ça ? Repousser les limites de l'instrument, détourner la façon dont on joue communément de la basse par exemple, c’est ma façon de me révolter contre ces clichés. Il y a beaucoup de bonne électronique de nos jours, mais elle n’est souvent qu’une illustration des usages basiques des machines. Il s’agit juste presser un bouton pour obtenir le son qu’on aime. Or, il n’est pas nécessaire d’avoir de l’argent et un matos d’enfer pour faire de la bonne musique, mais simplement d’y foutre son âme, de s’impliquer ! ».

Penseur techno

Cette volonté de se servir d’un ordinateur comme d’un instrument à part entière en le reliant au cœur, et de rendre les machines humaines n’a pourtant pas empêché la presse de tisser une fausse image de Squarepusher. En dix ans, on a imaginé sa musique comme quelque chose de claustrophobique et cérébrale à l’excès, un peu comme un happening à la Fondation Cartier. On l’a pensé aussi harmonieuse qu’une symphonie de marteaux piqueurs un dimanche matin-lendemain de biture et aussi aride qu’un frigo sans pintes. Les concerts « conceptuels » de Squarepusher (dont une performance de 12 minutes en hommage à Jimi Hendrix en juin 2005 au London's Royal Festival Hall où il mixait tracks d’Hendrix à la basse et électronique) ont perpétué cette image d’Epinal du savant fou. Au point qu’on en a oublié l’aspect sautillant et purement jubilatoire de ses expérimentations.

Les Beach Boys dans la place !

En ce sens, Hello Everything et sa pochette rose, est une réponse joyeuse à ceux qui trouvent la musique de Squarepusher plus respectable qu’écoutable. Il faut le dire : elle n’est pas destinée à une niche d’élus qui adorent se palucher sur un son que la plèbe ne comprend pas. Tous ceux qui ont écouté plus de dix minutes l’un des dix albums de notre homme le savent. Il y a toujours eu chez l’alchimiste Squarepusher des morceaux accessibles, peut-être même plus que chez Autechre ou Aphex. Bien sûr, Tom aime à déstabiliser l’auditeur dans un jeu de fausses pistes dont la liberté totale et les contre pieds assumés, entre révérences et irrévérences, surprises et déconstructions, poussent l’auditeur dans ses retranchements. Mais Tom a toujours su dosé calme et tempête, élégance et brutalité, chaos et mélodie. « Je veux que l’auditeur se sente stimulé, questionné, inspiré, enjoué. » En un mot, « aimé » pourrait-on résumer, comme les Beach Boys lui avaient soufflé. « J’ai lu dans les notes de pochette d’une édition de Pet Sounds que Brian Wilson avait voulu organiser les sons de manière à ce que l’auditeur se sente « aimés par eux ». J’ai débord trouvé la remarque assez touchante, mais elle ne correspondait pas à mon sentiment de l’époque (1998). Mes intentions étaient alors d’essayer de surprendre les gens. L’aspect mélodique m’importait moins. Je suppose que je me fais vieux (rires) et que c’est pour ça que je me préoccupe plus des aspects plus conventionnels de la musique. Mais il y a eu aussi une décision consciente de ma part, après avoir travaillé sur Ultravisitor (2004), de me dire que mes chansons avaient pris trop de temps. Tant d’efforts pour si peu ! (rires) Avant, je passais des mois sur un morceau, aujourd’hui, des jours. J’avais envie de retourner à une forme de spontanéité. Je pense que même si la musique est électronique et qu’elle ne vient pas directement des mains de quelqu’un, elle doit rester reliée à la spontanéité.»

Autre fait responsable de la douceur (toute relative) du nouveau Squarepusher, un déménagement dans le fin fond rural de l’Essex, dont il ne sort que pour aller voir des amis dans des pubs ou des groupes dans l’East End. « Je vis près d’une réserve naturelle dans la campagne, et c’est la première fois que je m’évade en dehors de la ville, que je quitte Londres. C’est pour ça que cet album est plus relax, là où je vis, au lieu des bruits urbains d’activité constante (tu dois savoir de quoi je parle en vivant à Paris), il y a plus d’espace et de calme. Je m’endors dans le silence le plus complet. C’est étrange et effrayant car tu es forcé de te retrouver seul face à toi-même, à ton imagination, sans information venant de l’extérieur pour brouiller le contenu de ton esprit. Ca m’a conduit à une approche moins aliénée de la musique ».

Squarepusher et Scarlett Johansson : même combat

Bon, dit comme ça, vous allez vous imaginer que Squarepusher va signer un jingle de pub pour les résidences secondaires, remixer Britney Spears, et demander des nappes cordes à André Rieu. Mais ce n’est pas parce qu’il est accessible, que c’est un vieux papi assagi. Quand on lui parle, et qu’il grimace, c’est encore l’agitateur schizophrénique et torturé qu’on entend. Celui là même que Sofia Coppola a percé à jour en utilisant le superbe « Tommib » (sur Go Plastic, 2001) dans son très beau Lost In translation. Ce titre illustre à lui tout seul le spleen de la jeune et jolie blondinette Scarlett Johansson perdue à Tokyo. D’où notre intertitre saugrenu suggérant des accointances entre la starlette ricaine aux gros seins et l’Anglais barbu et bourru. Car si les mots de chaos et de folie ont souvent circulé sur les tracks de Squarepusher, celui de noirceur est le plus justifié.
Il suffit d’écouter la reprise très controversée du « Love Will Tear Us Apart » de Joy Division sur Do You Know Squarepusher ? (2002) pour s’en convaincre : c’est un esprit mélancolique qui aime les longues plages ambient qui mettent la larme à l’œil autant que les avalanches de BPM. Né d’un père très versé dans le jazz et d’une mère atteinte de problèmes psychiques, le prolifique et infatigable Squarepusher a toujours semblé vouloir se réconcilier avec deux parts de lui-même : ce refus violent du compromis qui le pousse à l’isolation et cette volonté de dire « Hello Everything », d’être intelligible et aimé.

La dernière chose qu’il nous confie d’ailleurs c’est en avoir assez de prêcher aux initiés. « Tout à l’heure à la BBC, je me sentais mal. Ces gens ne me connaissent pas et n’en ont rien à foutre de ma musique. C’est déstabilisant cette fausse audience constituée de figurants. Mais en même temps, c’est peut-être une bonne chose, car des fois en concert, j’ai l’impression de prêcher à des convaincus. Ils veulent juste écouter les fameux « tubes ». Alors est-ce que ce n’est pas mieux de jouer devant ces gens de la BBC que devant ceux qui, par amour, exigent beaucoup de vous ? Un peu comme, j’imagine il est plus difficile d’interviewer quelqu’un qu’on aime que quelqu’un dont on se fout, non ? » Mister Jenkinson aurait-il deviné la fan derrière la journaliste, lorsqu’en lui tendant une main-tremblante- il préfère nous faire la bise, avec la simplicité chaleureuse des plus grands…

Hello Everything (Warp/Discograph)
www.warprecords.com

Art Brut - De décoffrage - Article paru en mars 2006 dans Trax

Texte : Violaine Schütz

Art Brut
De décoffrage

Avec leur premier album, Bang Bang Rock & roll, les londoniens d’Art Brut font bien plus qu’aligner d’épatants hymnes de post-punk abruti, ils tordent aussi le cou à toute la vague du rock junkie nourrie au NME. Albion, comme on l’aime !

« Une fois, Carl Barat des Libertines est venu jouer avec nous sur scène, personne ne l’avait reconnu, on a failli le foutre dehors. Ce soir là, il y avait aussi Bez dans la salle ; Il parait qu’il a aimé le show » nous raconte, pas peu fier, le batteur d’Art Brut, Mikey B. Rien d’étonnant si la mascotte des grands Happy Mondays a apprécié les Anglais dégénérés. Il a simplement du reconnaître la famille, celle des grands empêcheurs de danser en rond.
Car les Art Brut, formés un peu par hasard en 2003, tiennent autant du groupe du dancing-rock urgent que de la satire sociale hilarante. « Mon petit frère vient de découvrir le rock’n’roll. Il a seulement 22 ans et il a perdu le contrôle/ Il n'écoute que des chansons qui disent : "Pourquoi nos parents ne se soucient pas de nous ?"/Ne touche pas au crack ! » braille le génial Eddie Argos sur « My Little Brother ».
Depuis Jarvis Cocker, parvenu il y a 10 ans à synthétiser les aspirations de sa génération, pour en extraire la « pulp », on n’avait pas entendu des textes -concernant les affres de la jeunesse- aussi intelligemment troussés. Bang Bang Rock & roll, le premier album d’Art Brut aligne en effet trente minutes de post-punk décalé qui sonne comme ce qui serait arrivé à The Fall si Mark E. Smith avait su écrire des paroles. Sur l’irrésistible single « Formed A Band », le dandy sarcastique dresse la genèse de son groupe en expliquant bien de quoi il est question : ici, la jeunesse parle à la jeunesse : « Et oui, c’est ma voix/Ce n'est pas de l'ironie/Pas du rock’n’roll / Nous parlons juste aux kids.»
Eddie (26 ans) raconte ainsi des tranches de sa vie intime qui peuvent parler à tout le monde. Il confie être toujours amoureux d’Emily Kane (le crush de ses 15 ans), avoir déjà eu du mal à bander («Je suis désolé/Ça ne veut pas dire que je t'aime pas/On essaie encore une fois avec moi au-dessus») et éprouver de temps à autres une envie de soleil (sur « Move to L.A », il raconte qu’il irait bien boire des coups sur une plage avec Axl Rose et Morrissey.)
Sur scène, Art Brut est aussi drôle que ses paroles. Lors de leur dernier concert parisien (à la Maroquinerie), le quintette se donnait à fond : le batteur germanique jouait debout et Eddie mouillait sa chemise (au propre comme au figuré) : haranguant la foule, pogotant dans l’audience, qui connaissait tous les titres par cœur…Leur prestation ressemblait au final à du grand n’importe quoi, un pastiche à peu près exhaustif de tous les clichés du rock.
Mais derrière la musique jouissive et les concerts comiques, Art Brut offre de la matière : « Parce qu’on aime le second degré, les gens croient que nos chansons sont des blagues » déplore le guitariste Jasper Future (un pseudo), mais je t’assure qu’on ne fait pas que déconner ». Outre la contestation d’un certain mode de vie anglais, Art Brut essaie de faire passer des messages. « Quoiqu’en dise Eddie dans les interviews, on n’a pas choisi notre nom au hasard. Il vient bien de Dubuffet. L’art brut c’est l’art des aliénés, des demeurés. Ca insinue que tout le monde peut faire de la musique (la preuve, nous on en fait !). C’est pour ça qu’on appelle les gens à former partout des groupes, et même à utiliser le nom Art Brut. » Très dada, très situationniste et surtout très punk, Art Brut vient à point nommé botter le rock anglais. Du coup, quand Eddie crâne sur « Formed A Band » : « On va écrire la chanson qui réconciliera Israël et Palestine (…) On la jouera 8 semaines à Top of the Pops », on y croit !

Bang Bang Rock & roll (Labels)
www.artbrut.org.uk